LA THIÈLE

SUPERNA QUAERITE, « Chercher les choses d’en-haut ». Inscrite sur le fronton du temple, c’est la devise de la ville d’Yverdon.

Ce matin d’août pourtant, la Brigade du Lac cherche les choses… dans l’eau.

C’est devenu un rituel. Nous sommes sept civils à nous inviter dans les locaux de la Brigade : un journaliste de La Région, un caméraman indépendant qui réalise un film de promotion touristique, trois rédacteurs du magazine trimestriel Pol Cant Information (l’un alimentera en direct le nouveau compte Snapchat de la Police Cantonale), une dessinatrice et un écrivain. Tous sont là pour assister au bisannuel nettoyage de la Thièle.

- Ah non ! Le Commandant Paul Gerber remet le temple au milieu de la ville : N’allez pas parler de « nettoyage » ! On n’est pas des éboueurs. Il s’agit d’un contrôle qui s’inscrit dans un cadre ju-di-ciaire !

Le requin tatoué sur son avant-bras - avec les mots « TOMBEAU DU MARIN » - ne donne pas envie de contredire le Commandant.

Nous nous répartissons sur deux bateaux, remontons la Thièle sur un kilomètre, jusqu’au pont des Vuagères.

Les quatre plongeurs de la Brigade se jettent à l’eau. Une eau à 15 degrés. Ils ajustent leur lestage. La Thièle a ici trois mètres de fond. Ils avancent en ligne, à la vitesse du pas, escortés par nos deux embarcations.

Première prise, un VTT avec suspensions au cadre. Un employé de la voirie aide les plongeurs à l’extraire de l’eau. Il porte le T-shirt du dernier Giron du Nord. « GORILLE », son surnom est imprimé au dos. Un second employé – T-shirt « Forêt vivante, Forêt d'avenir » - charge le vélo dans une camionnette qui suit notre progression.

- Ces deux-là sont in-dis-pen-sables, explique le Commandant. Une fois, nous avions tout laissé sur les rives de la Thièle. Le lendemain, quand ils sont arrivés pour charger, tout avait déjà été rejeté à l’eau. Ah ça, y a pas que des malins…

Le dernier homme de l’équipe est un assistant de sécurité publique. Sa mission ? Noter sur un bloc quadrillé : « VTT rouge Crosswave, vignette 48625039421 ». Et vérifier si ce vélo a été déclaré volé, alerter le propriétaire, l’assureur.

Deuxième prise, un VTT encore cadenassé. « VTT California, cadre F05018026, vignette pas visible ». Puis un modèle féminin. « Citybike bordeaux Bolero, pas de vignette, pas de numéro de cadre »… A partir du Pont Kinner, la pêche est miraculeuse : tuyau de canalisation, roue de vélo, caddie de supermarché, pied de parasol, morceau de ferraille, pied de biche, pot d'échappement, sarcloir de jardin, pneu de tracteur, barre de métal, toile d'isolement, jouet en plastique, sac en plastique, trottinette sans guidon, cintre, panneau de signalisation…

- Quand il y a des chantiers à proximité, on trouve toujours une épéclée de ces panneaux au fond !

A 10h34, un plongeur ôte son détendeur et crie : Un boguet !

La dessinatrice demande ce que c'est qu’un boguet. Cela fait rire le Commandant, qui s’aide d’un grappin pour sortir de l’eau un vélomoteur Fantic.

A 10h52, un plongeur ôte son détendeur et demande le grappin. Fausse alerte, il se grattait simplement l'oreille.

Entre la passerelle de la Coop et le pont de Gleyres, ils sont une centaine de curieux à lorgner la manœuvre. Surtout des retraités. Ils s’ennuient, alors ils fantasment, ils s’imaginent voir surgir un cadavre... comme en mai dernier, quand on a repêché une femme dans le canal du Buron… comme en septembre 2014, quand un cadavre a été retrouvé près du pont des Cygnes… comme en octobre 2011, quand un homme de 57 ans a été sorti du canal de la Thièle, derrière les ateliers CFF…

Le soleil se met à taper, on a soif, le temps dure longtemps, alors on se met aussi à rêver d’une prise spectaculaire. L’arme d’un crime. Un coffre-fort rempli de bijoux. Des sesterces romains, des amphores. Des piles Leclanché, une machine à écrire Hermès…

Mais non : 23ème trottinette… 21ème vélo… 22ème vélo… 24ème trottinette… 23ème vélo… 25ème trottinette…

A 11h24, un plongeur ôte son détendeur et crie : un solex !

Un solex. C’est bien, un solex.

Depuis combien de temps n’a-t-on pas vu un solex dans les rues d’Yverdon ? A qui a appartenu ce solex ? Comment s’est-il retrouvé dans la Thièle ?

Tiens, ne tiendrais-je pas là le début d’un polar ?

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