Valérie Gilliard

FLOREYRES | Fenêtre virtuelle, trop de jours

Valérie Gilliard est née en 1970 à Lausanne. Après des études en lettres classiques elle part enseigner aux Etats-unis puis elle reviendra en Suisse pour enseigner au Gymnase d’Yverdon. Elle publie son premier roman Le canular divin en 2009 puis son second roman Le Canal en 2014. En 2018 elle publie Nos vies limpides. La même année, elle remporte la Bourse de l’écriture du Canton de Vaud.

JE N'AI PAS

Il faut que je vous fasse un aveu: je suis en train de passer totalement à côté de mon confinement. Et pourtant j’en ai vu, des suggestions, par la fenêtre virtuelle. Mais non. Je n’ai pas profité de l’aubaine pour revoir les films cultes italiens. Je n’ai pas non plus terminé la Comédie humaine, pas même épuisé mes piles de bouquins. Je n’ai pas commencé un régime ni pratiqué le saut à pieds joints sur le canapé. Je n’ai pas testé la figure du chien sur tapis de yoga. Je n’ai pas retrouvé des trésors au fond de mes placards que je n’ai d’ailleurs pas rangés. Je n’ai pas photographié dans mon jardin des fleurs qui poétisent (merci Christophe). Je n’ai pas, à l’aide d’un juron cool en anglais, vertement enjoint à mes amis de rester à la maison. Je ne leur ai pas montré l’exemple. Je n’ai pas fait de joyeux télé-apéro. Je n’ai pas fait don de mes masques à l’hôpital. Je n’ai pas promené mon chien autour du jardin (je n’ai pas de chien). Je n’ai pas cherché mon chat non plus (il ne se perd jamais). Je n’ai pas applaudi à 21 heures (mon plus proche voisin est le chemin de fer). Je n’ai pas séché mes graines de tomates pour faire pousser des plantons (ni mangé du plancton). Je n’ai pas cuisiné de nouveaux plats sublimes. Je n’ai pas écrit partout le mot confinement. Je n’ai pas, depuis ma chaise longue, traité de cons finis ceux qui se hasardaient à prendre l’air. Je n’ai pas peint une aquarelle tous les matins. Je n’ai pas relayé le dernier gag sur le papier Q. Je n’ai pas donné mon avis sur le virus ou le complot, ni inventé le nouveau monde. Je n’ai pas joué un petit air ni chanté avec des grands airs. Je n’ai pas écrit mon journal de confinement ni réalisé de court-métrage. Je n’ai pas commandé un body taille de guêpe. Je n’ai pas découvert ma vraie personnalité à travers mon animal totem. Je n’ai pas répondu au défi gueule d’ange ni à celui des dix meilleurs livres. Je n’ai pas inventé d’atelier bricolage pour les ados sages. Je dois avouer oui parfois j’ai bien ri. Et j’ai aussi admiré les danseurs de Paris. Puis je me suis lassée face à la vertu affichée, les hauteurs de vues clamées, les petitesses dénoncées et les théories enfumées. La vertu du virtuel est peut-être de nous donner envie de la fermer. La fenêtre. Finalement, comme ça, c’est plus simple. Je dois vous faire un aveu : ma mère me manque. Ma meilleure amie aussi. Je ne les vois jamais par la fenêtre virtuelle. La femme de ménage me manque. L’esthéticienne aussi. Songe-t-elle avec appréhension au jour où les grands singes sortiront du bois ? J’ai pris du ventre. Mon mari ronflait. Son corps est encore sous le lit, il va falloir que je le déplace, ça commence à sentir.

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