Agnès Eimann

ST-GEORGES | RUE SAINT-GEORGES, le 11 avril 2020

De ma fenêtre, je vois des bribes de monde, qui cohabitent depuis vingt ans sous mes yeux sans que je me soit posé la moindre question. C’est comme si mon oeil confiné devenait plus analytique, plus critique peut-être.

Je vois un étendage pour le linge presque toujours orphelin (où sont les culottes distendues ?) planté au pied d’un grand sapin qui a vaillamment poussé entre deux maisons. Bien sûr, il a réussi à les dépasser. Mais, comme par vengeance, la main de l’homme lui a taillé les deux tiers de ses branches. Elles venaient chatouiller les vitres les jours de grand vent et absorber pas mal de lumière.

Quand même. Il en faut pour se faire les ongles…Et voici l’arbre devenu balai de cabinets.

Devant, un arbre en fleurs, insensible aux angoisses et aux péripéties humaines : « J’ai des fleurs à faire, bon sang. C’est pas juste de l’esthétique. Elles doivent se gorger de soleil et d’abeilles.

Polliniser le peu qui reste. Pour nous, c’est la pandémie permanente. »

Au loin une rampe d’escalier ultramoderne qui s’élance vers une porte ornée d’un couronne de bienvenue. Comme une offre dépassée de date. Aujourd’hui, c’est surtout n’entrez pas.

Au premier plan, une espagnolette, celle qui sert à ouvrir ma fenêtre, justement. Dans un vieux mécanisme au goût de vacances.

Ces éclats de monde me semblent maintenant comme « apondus », superposés. La nature mêlée sans harmonie aux produits de l’activité humaine. Rien d’organique.

Et si, juste pour voir, on pendait les culottes sur l’arbre à la place des fleurs, et les fleurs sur l’étendage ? Si on rendait ses branches au sapin et coupait quelques étages aux immeubles? Et si à la place de l’escalier high tech on érigeait une immense espagnolette ? L’absurdité révélée.

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