© Ville d'Yverdon-les-Bains/Carole Alkabes

 

Allocution prononcée par le Syndic le 1er août 2024

Madame la présidente du Conseil communal,

Mesdames et Messieurs les conseillers communaux,

Madame la Municipale,

Monsieur le Municipal,

Chers invités, chers hôtes,

Chers Yverdonnoises et Yverdonnois,

En ce jour de fête nationale, c’est un grand plaisir pour moi de vous souhaiter la bienvenue au nom de la Municipalité d’Yverdon-les-Bains, à cette partie officielle.

Nous commémorons le 733ème anniversaire de la création de la Confédération, dont les origines remontent à 1291. Plongeons-nous quelques instants dans le 13ième siècle : c’est le bas-Moyen-Âge, la fin des Croisades – le Royaume de Jérusalem, dernier état latin issu des croisades, disparaît précisément cette année-là, c’est le temps des Templiers, des invasions mongoles, des voyages de Marco Polo sur la route de la soie.

Mais tout le monde n’a pas une âme d’aventurier. Pour les communautés, le souci numéro 1 est de pouvoir se défendre, d’être à l’abri des pillages et des spoliations, mais aussi de faire valoir ses droits, notamment de douane et de passage.  

Au cœur des Alpes, les paysans des vallées qui gèrent et taxent le passage du Gothard s’organisent. Quelques décennies après avoir ouvert, en jetant le pont du diable aux Schöllenen, la route la plus courte entre l’Europe rhénane et la Méditerranée, ils signent un pacte où ils se promettent assistance en cas de coups durs.  Rétrospectivement ce pacte sera vu comme la naissance de la Confédération. Dans une Europe alors dominée par la noblesse, le succès de ce pacte entre gens du peuple détone.

Pour la Suisse, 1291 est un symbole formidable d’une grande modernité: ensemble on est plus forts, personne ne se sauve tout seul. On peut dire que l’ADN de base a bien traversé les siècles même s’il y a une part de mythe dans cette histoire des 3 Suisses et du Pacte fondateur.

La Confédération va grandir par agrégat de territoires, un peu comme l’Union européenne actuelle. Petit à petit, les villes se rallient : Lucerne en 1332, Zurich et Berne entre 1351 et 1353 – c’est la confédération des huit cantons. A la renaissance, suite aux guerres de Bourgogne puis de Souabe, elle passe à treize, et s’ouvre pour la première fois via Fribourg en direction des terres francophones de l’ouest du Plateau.

Et c’est là, et là seulement, que nos destins se croisent : parce qu’au moment du pacte de 1291, Yverdon est très loin de tout cela : après avoir été laténienne, romaine, burgonde et bourguignonne, depuis 1240 environ elle est savoyarde. Elle va le rester encore deux siècles et demi.

En 1260, le comte de Savoie, Pierre II, lance l’édification de notre Château. Dans l’histoire des forteresses défensives, le Château d’Yverdon est emblématique d’une nouvelle conception : le carré savoyard et ses 4 tours. Le modèle sera repris partout en Europe, mais nulle part mieux qu’ici, dans le pays de Vaud, a-t-il survécu au millénaire.

En 1536, au moment de la réforme et des guerres de religion, Berne, réformée, vole au secours de Genève, la nouvelle Rome protestante, menacée par la Savoie catholique qui rêve depuis toujours de mettre la main sur la ville du bout de l’autre lac. Entre Berne et Genève : nous. L’expédition est couronnée de succès, Berne conserve pour lui une grande partie du Pays de Vaud d’alors. Désormais sujets de Berne, nous devenons Suisses en même temps que protestants. Nous ne deviendrons souverains, comme vaudois, qu’un quart de millénaire plus tard, en 1803.

On vient d’en avoir un aperçu, l’histoire, les frontières, les chronologies, sont mouvantes, selon les époques et les points de vue. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’entraide et la défense d’intérêts communs ont réuni peu à peu les Suisses, malgré leurs différences de religion ou de langue.

La neutralité, elle, vient aussi à cette époque. Et de manière fort pragmatique.

Après la défaite de Marignan en 1515, les Confédérés décident – en principe : nous vaudois sommes un contre-exemple – de ne plus lancer de guerre d’expansion pour eux-mêmes. C’est d’autant plus sage qu’à peine dix ans plus tard, la Réforme va faire irruption, provocant les plus graves tensions internes de notre histoire : d’expansionnistes, nos guerres deviennent dès lors civiles. Dans le même temps, dès 1516, les Suisses mettent leur qualité de guerriers au service du Roi de France – qui vient justement de les vaincre à Marignan. Comme réconciliation entre belligérants, on a rarement fait aussi vite.

Jusqu’au milieu du 19ième siècle, via toutes sortes d’accords avec les Rois de France mais aussi d’autres souverains, les Suisses s’engagent comme mercenaires. Le système est lucratif et fait découvrir à beaucoup de Suisses, et de vaudois, le vaste monde.

Toutefois ce réseau d’alliances complexes conduit à des tensions au sein de la Diète, l’assemblée où les Confédérés essayent de se mettre d’accord. Les historiens estiment que le renoncement à une politique étrangère active permet aux Confédérés de consolider leur cohésion interne. La neutralité favorise l’unité entre cantons qui n’ont désormais plus la même religion.

La neutralité, c’est donc aussi une façon de ne pas nous diviser entre nous. Elle nous rend plus forts – on s’en rend compte en 1648 quand au sortir de la guerre de trente-ans que la Suisse gagne en n’y participant pas, son indépendance de facto est enfin reconnue, de jure, par le Saint-Empire.

Cette manière d’être en retrait des puissances belligérantes, tout en travaillant pour elles, est ensuite actée par le Congrès de Vienne en 1815, après les guerres napoléoniennes. La neutralité de la Suisse est reconnue comme un élément constitutif de l’équilibre européen qui se recompose alors.

Un siècle plus tard, avec la première guerre mondiale, la neutralité de la Suisse est mise à rude épreuve. Autre petit état coincé entre la France et l’Allemagne, la Belgique voit sa neutralité violée, ce qui frappe les esprits chez nous. Pire, entre Romands et Alémaniques, les points de vue divergents sur les deux belligérants donne naissance au fameux Roestigraben. Plusieurs scandales autour de la neutralité divisent les Suisses.

Au sortir de la guerre, le sentiment que les Suisses ont eu de la chance d’être épargnés par les combats prévaut et entraîne la double majorité du peuple et des cantons à accepter l’entrée de la Suisse dans la Société des Nations. La SDN, installée à Genève, est l’organisation internationale qui doit éviter de nouveaux conflits.

Cette promesse de régler les conflits futurs par les négociations diplomatiques plutôt que sur le champ de bataille soulève l’enthousiasme des Vaudois. Le 16 mai 1920, ils disent oui à 93%, contre 56% au plan fédéral. Dans notre ville d’Yverdon, qui compte alors 2’522 votants  inscrits, le oui récolte 1’706 votants favorables, soit 83% des votants, comme les Archives de la Ville en gardent la trace. La Ville qui avait connu des tensions au moment de la grève générale de novembre 1918 est donc presque unanime sur cet enjeu de politique étrangère majeur.

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la Confédération n’a pas le même réflexe d’engagement sur la scène internationale. Tout en veillant à préserver ses intérêts économiques, elle refuse de s’engager dans les nouvelles organisations internationales qui émergent telles que l’ONU – Organisation des nations unies – puis ensuite la Communauté – devenue depuis l’Union, européenne. L’avis longtemps dominant est que ces assemblées sont trop politiques pour nous.

A la Chute du Mur de Berlin, la Suisse réévalue, un peu, son attitude. Après l’échec de l’EEE en 1992, accepté ici à 77% des 9'243 votantes et votants de l’époque : ce record tient toujours, les relations avec l’Union européenne prennent un nouvel élan dès l’an 2000 avec la signature d’accords bilatéraux. En 2002, 54% des Suisses acceptent l’adhésion à l’ONU. Le canton de Vaud vote oui à 63%, Yverdon-les-Bains à 60%. 

En ce jour de fête nationale, où nous rappelons les valeurs de concorde qui unissent les Suisses, les quelques jalons historiques que j’ai mentionnés montrent que chaque époque et chaque génération se doit de réfléchir à son rapport au monde.

Avec le retour de la guerre en Europe, depuis maintenant plus de deux ans, le débat sur la neutralité est à nouveau vif. Nous devons nous souvenir qu’elle a été au cours de notre histoire un moyen bien plus qu’une fin en soi. La neutralité, ce n’est pas l’indifférence au monde qui nous entoure et à ses maux. En ce jour nous avons une pensée pour les peuples et pays meurtris par la guerre, en Ukraine, au Proche-Orient entre Israël, Palestine et Yémen, au Soudan, au Congo, au Myanmar entre autres.

Nous célébrons en ce jour notre indépendance, pas seulement comme état, mais aussi l’indépendance d’esprit et les libertés que la Constitution fédérale garantit à chacune et chacun d’entre nous.

Comme membres du Conseil de l’Europe, dont le secrétaire général est désormais un compatriote, ces précieuses libertés nous sont aussi garanties par la Convention européenne des droits de l’homme. L’Europe est le seul continent qui offre à ses habitants la possibilité de recourir contre l’arbitraire de ses Etats.

Sachons dès lors comme les anciens Confédérés réfléchir aux meilleures façons de nous mouvoir dans le monde, et de porter assistance à celles et ceux qui en ont besoin.

L’écrin de notre si belle place Pestalozzi semble nous préserver des turbulences. Notre Château, aujourd’hui comme hier, reste un symbole de sécurité. On note qu’il est intact : il n’a jamais été ruiné.

C’est rare sur notre continent, et c’est un témoignage de la chance historique que nous avons eue à ne pas connaître tant de guerres que cela sur notre territoire – la dernière, ici, c’était en 1476, lors des guerres de Bourgogne. La ville avait alors été incendiée.

Comme citoyens suisses et citoyens du monde, comme Yverdonnoises et Yverdonnois, soyons reconnaissants des jalons de l’histoire qui nous ont conduit ici, et gardons les yeux et les bras ouverts envers ceux qui n’ont pas la chance de jouir des mêmes libertés que nous.

C’est ainsi, je crois, que nous serons fidèles au Pacte de 1291 et à la si belle devise de la Confédération : « Unus pro omnibus, omnes pro uno » qui signifie « Un pour tous, tous pour un », « Einer für alle, alle für einen », « Uno per tutti, tutti per uno », « In per tuts, tuts per in ».

Vive la Suisse, bonne fête nationale.

Et merci de votre attention !

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